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Le réveil de la vouivre
19 février 2021

Chapitre 19

Alex était heureux d'arriver au terme de cette étape de près de trente kilomètres. Il souffrait des épaules, irritées par les bretelles de son sac et il songea pour la millième fois qu'il ferait bien d'alléger sa charge de quelques kilos.

Une vilaine usine aux murs tagués de poèmes annonçait l'entrée de Najera. Des faubourgs de la ville se dégageait une morosité sans nom, immeubles tristes le long d'une chaussée au revêtement défoncé, rares magasins offrant des devantures sales et sans attrait...

Un pont récent enjambait la Najerilla pour accéder aux vieux quartiers.

Dès son franchissement l'ambiance changeait du tout au tout et Alex retrouva à cet instant un peu de l'esprit qui l'avait séduit à Estrella et à Logroño. Une place, tout en longueur, longeait la rive gauche de la rivière. Des parasols colorés ponctuaient les terrasses des bars où les clients profitaient des derniers rayons du soleil.

 

Au détour d'une rue il reconnut les bâtiments massifs d'une ancienne commanderie templière facilement identifiable par sa tour octogonale.

Le jeune professeur resta un long moment à contempler le vénérable bâtiment. Il songeait aux révélations que lui avait faites Meritxell. Il ressentit un pincement au creux de l'estomac mais son esprit revenait sans cesse aux templiers et au cortège de fantasmes que véhiculait leur histoire.

Tout était pourtant si simple ! Il se souvenait parfaitement de la façon dont l'un de ses professeurs d'histoire du moyen âge résumait la situation.

 

" Un obscur seigneur champenois un peu bigot, Hugues de Payns participe à la première croisade. Il reste à Jérusalem au côté de Godefroy de Bouillon. À la mort de ce dernier il décide de se consacrer à Dieu sous la règle de Saint Augustin, il fait voeux de pauvreté, de chatesté et d'obeissance ... bientôt suivi dans sa démarche par huit autres nobliaux. Mais comme ce petit monde s'ennuie ferme entre les prières qui rythment la journée et qu'ils ne savent vraiment faire qu'une chose, se battre, ils décident de tuer le temps en surveillant les voies d'accès aux lieux saints. Ils ne portent aucun signe distinctif et font un bon boulot qui plaît au roi. Il leur offre donc asile dans son propre palais et demande aux chanoines de Saint Augustin de leur faire un peu de place. Comme ces derniers occupent la partie du palais proche du Temple on appelle les neuf chevaliers les "pauvres soldats du Temple" ... Voilà, c'est tout, pas de trésor, pas de mission secrète, rien ...."

Une croix pattée était encore visible dans l'angle nord de la tour. De l'index Alex parcourut son contour adouci par les ans.

" Neuf années de galère, de petits boulots, sous la férule d'Hugues de Payns qu'ils ont choisi pour supérieur régulier mais ils s'aperçoivent un beau jour qu'ils ne respectent pas la règle des augustins qui proscrit l'usage des armes ... Alors ils demandent au nouveau patriarche de Jérusalem une règle qui leur soit propre. Ce dernier en réfère au Pape qui demande à voir les impétrants. Jugeant la requête légitime il fait rédiger la nouvelle règle par le spécialiste de ces choses là, Bernard de Clairvaux .... "

 

Une fois de plus rien d'ésotérique dans tout cela. Une suite logique d'évènements presque banaux...

 

Alex s'éloigna à regret du vieux bâtiment qui éveillait en lui des souvenirs anciens. Il se dirigea d'un pas traînant vers la Najerilla.

Le jeune homme déposa son sac dans l'herbe au bord de la rivière et s'allongea en contemplant les longues branches souples des saules qui balançaient au rythme de la brise.

Depuis toujours il se refusait de voir derrière les actions des hommes autre chose que des suites d'évènements logiques ... Pourquoi nos ancêtres auraient ils été fondamentalement différents de nous ? Les Templiers n'étaient pas différents des "chevaliers teutoniques, des chevaliers de Saint Jean, de Calatrava ou de Saint Jacques ....L'image de la bohémienne vint se superposer à celle des anciens chevaliers. Qui était elle ? Sa raison lui dictait de ne plus se mêler de cette histoire puisqu'on ne voulait pas de lui ... mais sa curiosité naturelle, celle qui l'avait poussé à choisir le métier d'historien, lui susurrait que, sous un fatras de superstitions, il y avait, peut être, des vérités cachées et les ignorer aujourd'hui serait la pire des erreurs... Il ferma les yeux et s'endormit.

 

 

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Lorsqu'il se réveilla le soleil disparaissait derrière les collines qui entouraient la ville. Alex se rechaussa, enfila son sac et se mit à la recherche du gîte communal.

Il répétait mentalement le bilan de ses préoccupations du moment, choisir un lit, prendre une douche, faire une lessive ... quand son sang ne fit qu'un tour.

Attablé à la terrasse d'un café, Carlos, le félon, dégustait une grande bière pression en compagnie de deux demoiselles.

 

Le canarien ne vit pas Alex bondir, mais le regard effrayé de l'une des deux filles l'alerta. Il ne put esquiver la masse du français qui s'affala sur lui de tout son poids. Carlos était athlétique mais une rage folle s'était emparée du français. Il saisit le canarien par le col et s'apprêtait à lui coller la plus belle raclée de sa jeune existence quand il sombra dans un grand trou noir.

 

Lorsqu'il ouvrit les yeux Alex était allongé sur la moleskine usée d'une banquette de bar. Une jeune fille passait une serviette humide sur son visage tandis qu'un petit homme l'observait inquiet derrière une grosse moustache et des sourcils broussailleux. Celui ci donna libre cours à sa colère au travers d'une bordée d'invectives.

Les connaissances en espagnol d'Alex étaient toujours aussi limitées. Il murmura en se redressant.

  • Désolé je ne comprends rien !

La jeune serveuse traduisit.

  • Le patron dit qu'il va appeler la police, que vous avez cassé du matériel et fait fuir tous les clients.

Alex se massait douloureusement l'oeuf de pigeon qui poussait sur le sommet de son crâne.

  • Dis lui que je suis vraiment désolé et que je vais rembourser les dégâts.

Dès qu'elle eut traduit, la mine du patron se fit plus avenante. Il se lança dans une longue phrase dont Alex ne comprit pas un mot.

  • Il veut savoir pourquoi vous avez agressé ce garçon et pourquoi il s'est enfui lorsque vous avez été hors d'état de vous défendre. Il dit aussi que c'est pour cela qu'il n'a pas appelé tout de suite la police. Si ce garçon avait été honnête il ne se serait pas sauvé.

  • Merci.... Ce salopard a agressé une jeune femme à Estrella, une de mes amies.

La phrase fit son petit effet car l'attitude du patron et des quelques personnes rassemblées autour de la table changea immédiatement. Alex profita de l'émotion pour demander des informations sur Carlos et les jeunes filles qui l'accompagnaient. Personne ne connaissait le canarien. Ce n'était pas le cas des demoiselles qui traînaient derrière elles des réputations peu flatteuses.

Alex régla son dû au patron et partit à la recherche d'une pharmacie.

 

Une croix verte clignotait au bout de la rue. Il cessa un instant d'élaborer des plans de vengeance machiavéliques pour s'interroger sur la traduction de « mal de tête » en espagnol.

Dans l'officine une charmante laborantine l'accueillit avec un grand sourire. Alex expliqua ses ennuis en français puis en anglais, mais devant les yeux effarés de la jeune fille, il se résolut à reinventer le langage des signes. La demoiselle suivait avec attention son manège quand son portable sonna. Elle lui fit un petit geste de la main pour qu'il patiente.

Elle pianotait avec dextérité et ses longs doigts fins rappelèrent à Alex l'épisode de Puenta-la-Reina quand Meritxell appelait son père. Une chaîne diabolique se forma dans son esprit : Meritxell, Carlos, téléphone, écoute téléphonique ... en sortant de la pharmacie avec ses cachets contre la migraine le jeune homme souriait. Il tenait sa vengeance.

 

Alex savourait une bière à la terrasse d'un café de la Calle Major en répétant mentalement le scénario qu'il avait mis au point. Quand il se sentit prêt, il alluma son téléphone portable.

Le dernier numéro utilisé était, comme il s'y attendait, celui du domicile de Meritxell. Alex attendit que quelqu'un décroche.

  • Holla !

La voix de femme avait les mêmes intonations chaudes que celle de Meritxell. Il s'agissait peut être de sa mère. Elle prononça une phrase à laquelle le français ne comprit rien.

  • Holla - répondit Alex, puis avant que son interlocutrice ne puisse l'interrompre il lâcha d'une traite – Est ce que vous avez eu Carlos au téléphone ? je voudrais que vous le remerciez d'avoir prévenu les jars de Logroño. Sans lui on était dans de beaux draps. Tout c'est déroulé comme prévu. J'espère qu'il profite bien de l'argent qu'il a réussi à leur soutirer. Hasta luego !

En raccrochant Alex espérait que son téléphone était bien sur écoute.

 

Il commanda une autre bière, une assiette de jambon cru et observa les passants de plus en plus nombreux à cette heure tardive.

Alex se promena longtemps entre la « plaza de la Estrella » et la « plaza Navarra » où battait le coeur de la vieille cité. Il n'était pas pressé de retrouver le refuge des pèlerins.

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