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Le réveil de la vouivre
16 janvier 2020

chapitre 11

Les vendanges venaient de s'achever et les vignes de la Rioja, parées des couleurs de l'automne, s'apprêtaient pour l'hiver. Quelques tracteurs tournaient encore entre les rangées de ceps pour un ultime nettoyage.

 

Juan-Pedro, le visage blême, était assis à côté de Cécile dans la petite Twingo. La jeune française lui jeta un regard inquiet.

  • Ça ne va pas ? Demanda Cécile.

Le jars les lèvres pincées et le regard vide répondit d'une voix sifflante.

  • Je n'aime pas me déplacer en voiture.

  • Pourquoi ?

  • Ce n'est pas naturel ! Nos corps ne sont pas faits pour ça ... ça va beaucoup trop vite !

  • Tu peux m'expliquer ?

L'espagnol cherchait ses mots.

  • Tu sais quelle vitesse ton corps peut atteindre par ses propres moyens ?

Cécile réfléchit un instant.

  • Je ne sais pas, une vingtaine de kilomètres heure.

  • En marchant normalement tu ne dépasses pas sept kilomètres heures ... Tu peux aller plus vite lors d'une chute. Tomber est naturel et dans une chute, du haut d'un toit par exemple, tu peux atteindre plus de cent kilomètres heure. Mais à l'arrivée tu es mort...

  • Et alors ?

  • Alors, au delà de vingt kilomètres heure, notre corps se prépare à mourir et réagit en conséquence ... quand tu te prépares à un choc tu te crispes, tu rentres la tête, tu te protèges avec tes bras. Au delà de vingt kilomètres heure ton corps en fait autant.

  • Je comprends ton raisonnement .... et au delà de cent kilomètres heure ?

  • Au delà, on se situe en dehors des limites naturelles ... on se trouve dans un domaine pour lequel notre corps n'a plus de référentiel. Nous ne sommes pas faits pour nous déplacer si vite.

  • Lorsque tu voyages dans le deuxième ciel, tu te déplaces bien à des vitesses plus élevées.

  • Seul mon esprit voyage. Mon corps n'est pas soumis à des contraintes pour lesquelles il n'a pas été conçu.

  • C'est la rançon du progrès.

  • Tu crois vraiment qu'il s'agit d'un progrès ?

  • Ben oui, ça facilite les déplacements, la communication.

  • L'homme n'a pas besoin de ça pour communiquer ou se déplacer. Il doit redécouvrir toutes les capacités qui sont enfouies en lui.

Cécile, plongée dans un abîme de perplexité, resta silencieuse jusqu'à ce que les faubourgs de Logroño apparaissent.

 

images

L'Ebre, le grand fleuve du nord de l'Espagne, traversait la capitale de la Rioja. Son niveau était au plus bas et le pont de pierre menant au centre ville paraissait disproportionné au regard du filet d'eau enjambé.

Cécile se tourna vers lejars qui reprenait petit à petit des couleurs.

  • Tu me guides Juan Pedro. Je ne sais pas du tout où nous nous trouvons en ce moment.

  • Oui, oui ... euh ! la rue de la loge se trouve tout de suite après le pont. Si tu vois un panneau qui indique la chapelle San Gregorio...

Au premier rond point, la jeune fille décrivit un tour complet avant que Juan-Pedro ne réagisse. Il s'écria tout à coup en montrant une ruelle étroite.

  • Prends la Calle « Rua vieja ». La chapelle de San Gregorio ne se trouve pas très loin.

La Twingo roulait au pas. Des coquilles de bronze scellées dans les pavés tous les cent mètres indiquaient le chemin vers Santiago.

  • C'est par là ! je tourne.

  • Non ! Continue tout droit, tu stationneras plus loin.

  • Pourquoi ?

Juan-Pedro montra un bâtiment moderne le long de la rue.

  • C'est un poste de la Guardia Civil. Ils sont de mèche avec la Maison-Dieu et ils surveillent les abords avec des cameras.

  • Ils n'ont pas le droit.

  • C'est un bâtiment officiel ... ils profitent des menaces terroristes pour filmer toutes les allées et venues dans le quartier.

  • Mais pourquoi ?

Le jars sourit dans sa barbe.

  • Ils savent que notre loge se trouve ici ... Comme nous savons où se trouvent leurs commanderies. Alors ils nous surveillent. C'est de bonne guerre. On va se garer plus loin et marcher comme des touristes. Là par exemple, c'est très bien.

 

Par des chemins détournés, ils se dirigèrent vers une maison ancienne dont le rez-de-chaussée abritait une épicerie poussiéreuse. A proximité se trouvait l'ancienne demeure de San Gregorio transformée en musée.

Juan Pedro poussa la porte vitrée de l'épicerie. Un carillon tinta. Cécile crût entrer dans une échoppe de souk africain. Une accorte matrone officiait derrière une petite vitrine dans laquelle était disposés fromages, jambons et chorizos. Elle leva les bras au ciel en voyant rentrer Juan-Pedro et se précipita vers le jars pour l'étouffer sur son imposante poitrine. Puis, apercevant Cécile, elle demanda.

  • Bonjour mademoiselle. Vous désirez ?

  • Elle est avec moi, Maria-Pilar ... Je te présente Cécile, une sœur qui vient de France.

La grosse dame enlaça la jeune fille.

  • Pauvre petite, elle est toute pâle et toute maigrichonne !

Elle se tourna vers le jars.

  • Ça fait longtemps qu'on ne t'avait pas vu Juan-Pedro. Qu'est ce qui t'amène à Logroño ?

  • Je viens voir le Maître. Je veux lui présenter Cécile.

Elle leva de nouveau ses bras courts vers le ciel mais cette fois dans un geste de supplication.

  • Mon Dieu ! Tu ne sais pas !

Brusquement inquiet le jars se raidit.

  • Il est arrivé quelque chose à Juan-Antonio ? Que se passe t'il Maria-Pilar ?

  • Juan-Sanche est mort ! Il a été assassiné ... Juan-Antonio s'est enfermé dans son bureau depuis hier soir et personne ne peut le voir. Même Juan-Carlos n'a pas pu y pénétrer.

Le jars l'air soucieux fronça les sourcils.

  • Il faut tout de même que nous parlions à Juan-Antonio. Est ce qu'on peut voir Juan-Carlos ?

  • Oui , bien sûr, tu connais le chemin.

Elle dégagea du bras un rideau en lanières de plastique coloré qui masquait un passage étroit et sombre. Lorsqu'ils furent suffisamment éloignés Cécile agrippa le bras du jars.

  • Où va t'on ?

  • La loge se trouve en face de la chapelle San Gregorio. Son entrée est surveillée. On utilise un souterrain, c'est plus discret.

  • Qui est Juan-Sanche ?

  • Le fils du Grand-jars.

 

Le couloir voûté long d'un cinquantaine de mètres descendait en pente douce en direction de l'Ebre. Des veilleuses creusées à intervalles réguliers éclairaient les paroies de pierre brute. Une porte de chêne obstruait l'extrémité du boyau.

À mi chemin le jars s'arrêta et joignit les mains sur la poitrine en baissant légèrement la tête. Puis il prit une pièce d'un centime d'euro dans sa poche et la posa sur un petit tas qui brillait doucement par terre.

  • Qu'est ce que tu fais?

    Le jars se retourna surpris.

  • Je demande au gardien de nous laisser passer.

  • Qui ça ? Je ne vois personne !

    Une lueur d'inquiètude brilla dans les yeux de Cécile. Elle se demanda un instant ce qu'elle faisait là en présence d'un homme qui s'adressait au vide. Juan-Pedro comprit son désarroi et sourit.

  • Tu ne le vois pas !

  • Non je ne vois rien, qu'est ce que je devrais voir ?

  • Un "gane'ch".

  • Qu'est ce que c'est un "ganèche" ?

  • Pas un "ganèche" mais un "gane'ch" ... C'est un être de l'autre monde.

  • Un fantôme ?

  • Non ! pas un être du monde des morts mais du monde du "petit peuple" .... tu as bien entendu parler des lutins, des gnomes, des fées ...

    Cécile ne savait plus si elle devait sourire ou rester sérieuse. Elle murmura du bout des lèvres.

  • Oui, dans les contes de fées...

    Le jars hocha la tête.

  • Je comprends .... Tu ne vois rien ?

  • Non !

  • Un jour, certainement, tu pourras le faire... Tous les lieux sacrés sont protégés.... Nous avons des accords avec le petit peuple. Quelqu'un te l'expliquera certainement mieux que moi.

    La jeune française n'osait plus avancer.

  • Viens, n'aies pas peur ... Il nous a autorisé à passer.

  • Euh, à quoi il ressemble ? Demanda Cécile en observant inquiète la voûte de pierres suintante d'huminité.

    Juan Pedro leva les mains très haut.

  • Il est à peu près comme ça.... Deux mètres cinquante.

  • C'est un homme ?

    Le jar sourit.

  • Si l'on veut, il a le corps d'un homme et la tête d'un ... - il hésita – d'un éléphant.

  • Mon Dieu ! L'exclamation venait du fond du coeur.

  • Ne t'inquiète pas. Les "gane'chs" sont très forts mais très sympas et très coquets. .. C'est pour ça qu'on leur donnent des pièces, ils se confectionnent des tuniques avec ...

 

 

Somatne_fata_(8)

 

Le jars saisit un lourd heurtoir de bronze et frappa trois coups. Un grincement sinistre retentit derrière Cécile. Une grille descendait interdisant tout repli.

  • C'est une précaution ! Ils vont nous contrôler.

  • Qui ça « ils » ? Des êtres fabuleux encore ?

  • Non il n'y a que le « chanteur de mémoire ».

  • Il ne le fait pas par télépathie ?

Le jars sourit.

  • C'est déjà fait ... mais on n'est jamais trop prudent.

Une petite trappe s'ouvrit au milieu de la porte. Un visage apparut.

  • Bonjour Juan-Carlos – il se mit de côté pour que son interlocuteur puisse observer la jeune fille. - je te présente Cécile.

  • Bonjour Juan-Pedro, bonjour Cécile. Entrez.

Le battant de bois s'ouvrit lentement. Juan-Pedro retira ses chaussures imité par Cécile. Les deux jars se placèrent face à face et positionnèrent leurs pieds de façon à former un carré puis, en se tenant par les avant-bras ils posèrent leurs front l'un contre l'autre et restèrent ainsi quelques secondes sans dire un mot puis ils se séparèrent en souriant.

Devant l'air ahuri de la jeune fille Juan-Pedro plaisanta.

  • Notre jeune amie n'a semble t'il jamais vu un salut entre maîtres-jars.

Cécile rougit.

  • Non jamais, mais depuis hier il y a eu beaucoup de choses que je n'avais jamais vues.

     

La salle dans laquelle ils se trouvaient n'avait sans doute pas changé depuis le moyen âge. Des chandeliers muraux offraient avec parcimonie une lumière dansante. Celle ci accentuait les ombres des visages de façon angoissante.

Dans un coin de la pièce quatre chaises à haut dossier était disposées autour d'un cube de granite foncé dans lequel des évidements permettaient de glisser les jambes.

 

Juan Carlos présenta un emplacement à Cécile puis il s'assit en face de la jeune fille tandis que Juan-Pedro prenait place à ses côtés.

  • Maria-Pilar nous a parlé d'un drame épouvantable. Que s'est il passé ? Comment va Juan-Antonio ?

  • Mal ! Il ne parle à personne, il n'a pas dormi ... lorsque j'ai appris la mort de Juan-Sanche Je suis allé voir Graziela pour interroger les arcanes.

  • La bohémienne ?

  • Oui ! Elle m'a confirmé que ce n'était pas un accident ... c'est un meurtre perpétré par la Maison-Dieu et ce n'est pas le premier.

Juan-Pedro tourna un regard gêné vers Cécile.

  • Je sais, le père et l'oncle de Cécile en ont été les victimes en France il y a trois jours.

Juan Carlos fixa intensément la jeune fille.

  • Toutes mes condoléances ... il faudra bien qu'un jour la Maison-Dieu paye pour tous ces crimes.

Le "chanteur de mémoire" restait silencieux. Cécile n'osait pas ouvrir la bouche, impressionnée par l'aspect austère du décor et par la solennité qui se dégageait du petit homme.

  • Je suppose que tu n'es pas venu avec cette jeune française uniquement pour m'annoncer le terrible drame qui endeuille sa famille.

  • Non, bien sûr... Son père et son oncle étaient Jean et Jacques de Sordes.

Les épaules de Juan-Carlos s'affaissèrent d'un seul coup. Il murmura.

  • Jean et Jacques ...

Juan Pedro l'interrompit.

  • Cécile est leur héritière... Elle a hérité des deux lames !

Les yeux du conseiller s'arrondirent de surprise.

  • C'est impossible.

Juan-Pedro continuait.

  • Elle est venue chez moi. Quelqu'un lui a donné cette adresse s'il lui arrivait malheur ... Je l'ai emmenée au temple. Elle n'avait jamais été initiée pourtant elle m'a suivi sur tout le chemin.

Le conseiller prit la main de Cécile dans la sienne.

  • Qui vous a demandé de vous rendre à Torres-del-Rio ?

Le ton était à la fois ferme et interrogateur. Cécile, l'esprit brouillé, ressentait une certaine angoisse. Le claquement d'une porte la fit tressaillir.

 

  • C'est moi qui lui ait demandé de venir.

Le Grand-Jars se tenait immobile sur le seuil de la pièce. Ses traits tirés étaient blafards, presque gris.

  • C'est moi qui ait suggéré à cette demoiselle de se rendre à Torres del Rio.

Les yeux fiévreux du vieillard brillaient d'un éclat terrible. Juan-Carlos s'avança au devant du vieil homme.

  • Comment allez vous maître ?

La voix caverneuse du Grand-Jars gronda.

  • Comme un homme qui vient de perdre son fils. - Il s'approcha de Cécile – et je suis très bien placé pour comprendre ce que ressent cette enfant qui vient de perdre son père.

Juan-Pedro s'était levé. Le vieux jars lui prit le bras et lui donna l'accolade en posant sa tête contre la sienne.

  • Merci Juan-Pedro, tu as fait exactement ce que j'attendais du maître des « veilleurs ».

Le "chanteur de mémoire" ajouta précipitamment.

  • Cette jeune fille nous a expliqué le malheur qui la touche. Les conséquences de ce drame sont .... inattendues et fâcheuses. Cette jeune fille détiendrait deux lames !

  • Je sais !

    La réponse du Grand-Jars claqua sèchement, suivie d'un long silence

  • C'est pour cela qu'elle assistera au conseil des jars qui aura lieu après- demain !

  • Mais nous n'avons pas encore retrouvé la règle Jakin et le monastère de Gallion ne veut pas que le successeur du crieur voyage en ce moment. Il est trop jeune et insuffisamment expérimenté.

  • Nous aurons la règle Jakin et nous dévoilerons l'énigme de la pierre.... Et cette jeune fille présentera ses lames au conseil comme tous les autres.

  • Mais, maître, c'est ...

  • Oui Juan-Carlos.

La voix du Grand-Jars était devenue glaciale. Celle du conseiller n'était plus qu'un chuchotement.

  • C'est une femme !

  • Oui, et alors !

  • Il n'y a jamais eu de femme au conseil !

  • Makeda, la reine de Saba ! ... Marie-Madeleine ! ... Ragnachilde, notre reine pédauque ... et plus loin encore Isis, Demeter étaient de quel sexe ? Qui sommes nous pour nous être arrogés le droit de nier aux femmes les pouvoirs qui de tous temps furent les leurs ?

Juan-Carlos ne savait plus quoi dire. Il se taisait, la bouche entrouverte.

  • Nous sommes tombés dans un piège tendu par Rome ! Les catholiques sont assez nombreux pour confisquer le savoir à la moitié des leurs. Nous n'avions aucune raison de les imiter. Ils ont agi ainsi pour nous nuire, pour nous faire disparaître ... C'est tellement plus facile d'éliminer un peuple quand on réussit à le diviser en deux factions qui se neutralisent... nous sommes des imbéciles, il n'est que temps de s'en rendre compte.

La dernière phrase était tombée comme un couperet. Sur un ton plus avenant il se tourna vers Cécile.

  • Quelles lames représentes tu ?

  • La 6 et la 7.

  • J'espère que nous aurons les bonnes lames avec nous lors du conseil et qu'il n'y aura pas trop de sièges vides ...Chaque siège vide, c'est un de nos frère assassiné par les « renégats ».

 

 

 

*****

 

 

 

Le Grand-Jars avait invité Cécile et les deux maîtres-jars dans son bureau qui disposait de fauteuils en osier et d'une table basse. Maria-Pilar était arrivée quelques instants plus tard avec un plateau sur lequel se trouvaient du café, de l'eau et quelques tapas aux légumes.

Le vieil homme s'adressa à Cécile.

  • Tu connais l'Hargo

  • Un peu mais je ne le parle pas vraiment.

  • Il faudra que tu t'appliques, car c'est le passage obligé avant de pratiquer la télépathie et toutes les lames communiquent par télépathie...

La jeune fille se figea.

  • Ça veut dire que mon père et mon oncle le faisaient?

  • Oui bien sûr !

  • Mais ils ne m'en ont jamais rien dit.

  • Ils t'ont appris certaines choses mais pas tout ce qu'ils savaient ... rassure toi, tu vas étudier cela chez nous... Mais en ce moment nous avons de grosses préoccupations.

  • Pourquoi ?

  • Je vais essayer d'être bref.

Le vieil homme raconta alors l'histoire du peuple des oies.

  • Lors du dernier éveil nous avons œuvré avec l’église catholique. Nous espérions alors réussir ce que nos ancêtres n'avaient pu faire : élever l'humain à un niveau qui lui permettrait de ne plus jamais régresser. Nous nous sommes trompés, une fois de plus... Lorsque le roi de France et le Pape félon se sont ligués contre le Temple, nous avons compris que nous nous étions fourvoyés... Il était trop tard, cela correspondait à la fin d'un cycle. Le conseil des jars s'est réuni à Gallion et a décidé de mettre Bohor en lieu sûr. Le secret de ce lieu n'était connu que d'un homme : le Grand-Jars de l'époque.

Cécile avait levé un sourcil interrogateur.

  • La Vouivre va bientôt se réveiller , il faut utiliser Bohor, et le « crieur du temps » a interrogé le passé pour connaître l'emplacement de la pierre.

  • Interroger le passé ! Comment fait il ?

  • Le "crieur du temps" observe le déroulement du temps.

  • Il voit l'avenir ?

  • Non, il sait l'avenir ... au contact de la Vouivre, il se place sur la ligne du temps, il observe et il nous raconte. Il devait apporter le fruit de ses observations pour l'assemblée des « lames », c'est ce que nous appelons la régle jakin. Malheureusement il a été victime d'un empoisonnement. Quand il s'est senti mourir, il a codé le document et l'a confié à l'un des nôtres. Ce dernier vient d'être assassiné à son tour et la règle est perdue pour l'instant. Tu m'arrêtes si tu as des questions à poser.

Cécile sourit.

  • J'en ai mille... Que fera l'assemblée des lames ?

  • Tout d'abord déchiffrer l'énigme du crieur puis désigner ceux qui seront responsables de la quête.

  • Et une fois que la « pierre de gloire » aura été retrouvée ?

  • Le conseil se réunira de nouveau pour définir le meilleur moyen de l'utiliser. A l'éveil de la Vouivre doit correspondre un éveil de l'humanité.

  • Qu'est ce que la Maison-Dieu ?

Les visages des trois jars marquèrent le même étonnement. Juan-Antonio soupira.

  • Il y a encore beaucoup à faire pour ton éducation jeune fille. La Maison-Dieu c'était le Temple....

  • Le Temple des templiers ?

  • Oui entre autre... Le Temple n'était pour eux qu'un outil mais nous l'avons compris trop tard et nous étions déjà trop engagés à leur côté. Ils sont devenus nos plus farouches adversaires.

  • Pourquoi ?

  • La famille du pape félon, Clement V, celui qui signa les décrets de dissolution du Temple était d'origine jack.

La voix du Grand-Jars était soudain devenue très lasse.

  • Il y a des traîtres et de renégats dans toutes les sociétés. Clément V se nommait avant son élection Bertand de Got. La famille « de Got » était originaire de Biscaye et ils n'étaient pas plus nobles que tes ancêtres ou les miens. C'étaient des parvenus qui se sont installés sur des terres offertes par Cluny. Les moines noirs ont couvert d'or cette famille, moins d'un siècle plus tard les Got ont dû payer leur dette.

Cécile hochait la tête d'un air dégoûté.

  • C'est du mauvais roman d'espionnage cette histoire. Pourquoi la Maison-Dieu nous pourchasse elle comme ça ?

  • Ils veulent Bohor pour refaire le monde. Ils savent que nous sommes détenteur du secret de son emplacement.

La jeune fille sentait les questions bouillonner sous son crâne.

  • Mon oncle disait qu'il y avait trois pierres.

  • C'est exact et ils en ont déjà deux. Hars et Graal.

  • Comment ! Comment ont ils trouvés le Graal ?

Le Grand Jars haussa imperceptiblement les épaules en rajustant son bonnet rouge.

  • Les sarrazins l'ont emporté dans leurs bagages après le sac de Tolède, l'ancienne capitale Wisigothe.... Par des cheminements trop longs à t'expliquer, la pierre sacrée s'est retrouvée dans les réserves du musée de Bagdad. Personne ne savait ce qu'était ce cailloux. Lorsque les limiers de la Maison-Dieu ont retrouvé sa trace, ils ont déclenché une guerre et l'ont récupéré lors de l'arrivée des occidentaux à Bagdad.

  • Une guerre !

  • Bush est une marionnette de la Maison-Dieu. Certains de ses conseillers les plus influents sont des chevaliers. Ils ont monté la plus grande escroquerie de ces cent dernières années.

  • Sur place il y avait des militaires, des journalistes ... je ne comprends pas.

  • Dans toute cette mascarade il n'y a eu qu'un événement d'une réelle importance.

  • Lequel ?

  • Le pillage du musée de Bagdad, lors de la chute de la ville. Tout le reste n'est que de la poudre aux yeux.

  • Il n'y avait pas plus simple ?

  • Peut être mais ils devaient avoir d'autres desseins cachés que nous ignorons.

 

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La jeune fille semblait dubitative.

  • Et Hars.

  • Hars ! Les templiers en avaient la garde. Elle appartenait au trésor de Montsaunes.

  • Montsaunes ! La commanderie de Comminges ?

Le vieil homme sourit.

  • Tu connais ?

La jeune fille rosit.

  • Je fais des études d'histoire.

  • La commanderie de Montsaunes avait la garde de Hars ainsi que de la dernière corne de Licorne.... Jusqu'à ce qu'un certain Bertrand de Got, toujours lui, évêque de Saint Bertrand de Comminges quelques années avant de devenir Pape, ne s'approprie la fameuse corne.

  • Dont on dit qu'elle était en réalité une dent de narval !

Les yeux de Juan-Antonio lancèrent un éclair sombre.

  • Balivernes ! Ceux qui affirment cela ne l'on jamais vue et n'ont jamais vu de licorne ! Ils prétendent que c'est une dent de narval. S'ils avaient ignoré l'existence du narval ils auraient sans doute dit que c'était une défense d'éléphant ... C'est la corne de la dernière licorne ayant vécu sur ce monde... Avant que ses sœurs ne se réfugient dans « l'autre monde » avec le petit peuple. Lorsque Bertrand de Got est devenu Pape, la commanderie a conservé la garde de la pierre et de la corne sous la responsabilité de trois templiers choisis par le Pape lui même. Il avait pris soin de désigner des templiers étrangers à notre peuple et il leur fit jurer fidélité.

  • Pas fou le Pape !

Le vieil homme eut un petit sourire.

  • Non, pas fou ! Mais lorsqu'il signa l'ordre d'arrestation du Temple quelques années plus tard ces trois chevaliers s'estimèrent relevés de leur serment de fidélité à son égard. Ils s'enfuirent avec Hars jusqu'au Portugal où ils rejoignirent la « Maison-Dieu » qui se restructurait. Cette pierre se trouve aujourd'hui dans la commanderie mère de Chicago.

  • Vous n'avez jamais songé à les reprendre ?

Les yeux de Juan-Antonio fixèrent le plafond.

  • Oui , souvent....

    Cécile hésita un instant.

  • Tu as une question qui te démange ?

  • Oui Grand-Jars.

  • Et bien n'hésite pas !

  • Est ce que nous sommes nombreux ?

  • Qui ça ?

  • Nous, les jacks ...

    Les épaules du vieil homme se voûtèrent.

  • Autrefois nous occupions une grande partie de l'Aquitaine et du Nord de l'Espagne mais la ségrégation nous a affaibli... Pourtant le coup de grâce fut porté lorsque l'étau s'est desserré.

  • Je ne comprends pas.

  • Tant que nous étions marginalisés il existait une solidarité absolue entre les jacks ... nous étions méprisés, haïs mais solidaires. Avec la révolution, les campagnes napoléoniennes puis les grandes guerres nous n'avons pas pu rester à l'écart du monde comme nous l'avions fait jusqu'à présent... Les nôtres se sont battus aux côtés des français, des républicains espagnols... Ils sont allés dans d'autres pays, d'autres contrées. Lorsque nos jeunes ont découvert qu'ils pouvaient vivre comme n'importe qui, ils ont abandonné nos valeurs, nos coutûmes, nos traditions. Pour répondre à ta question, le tiers de la population des Pyrénées a du sang jack dans ses veines aujourd'hui ... Mais nous ne sommes que quelques centaines à conserver nos traditions et à savoir encore qui nous sommes.

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