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Le réveil de la vouivre
9 février 2021

chapitre 16

Le visage sévère de Kévin Coldeboeuf, plus pâle encore qu'à l'accoutumée, se détachait sur la soie noire des murs de son bureau. Le ton de sa voix ne laissait planer aucun doute sur son mécontentement.

Sire Pons se tenait face à l'écran dans une posture figée qui lui était inhabituelle. Il semblait au garde à vous.

A ses côtés se tenaient les chevaliers chargés de l'interception des jeunes pèlerins à Irache. Leurs visages, déformés par des boursoufflures grotesques, ressemblaient à d'énormes framboises.

  • Je veux que vous m'expliquiez.

Sire Pons se tourna vers le chef d'équipe.

  • Allez y, racontez votre histoire.

Le chevalier se lança dans le récit de la journée précédente. Mais, lorsqu'arriva le moment précis de la fuite vers le monastère, il ne se souvenait plus de rien. Sa mémoire paraissait effacée. Sire Pons interrogea du regard ses deux acolytes qui hochèrent la tête en signe d'impuissance, puis il se tourna vers le Nautonier.

  • Ils ont subi un lavage de cerveau, les « maudits » appellent cela un sort de confusion.

  • Merci Pons, je sais ce qu'est un sort de confusion... Pourquoi n'y avait il pas une autre équipe en couverture ?

  • L'informateur n'était pas fiable, et l'arrivée d'une équipe de maudits était imprévisible ...

  • Voilà un mot auquel vous ne m'aviez pas habitué Pons. Il sonne comme une excuse... Comme un aveu d'impuissance.

  • Cela ne se reproduira plus.

  • Je l'espère Pons ... je l'espère vraiment.

    La communication s'interrompit sur un geste du Nautonier. Le Maréchal resta un instant immobile, les poings serrés. Il se tourna lentement vers les trois chevaliers.

  • Foutez le camps ! Que je n'entende plus jamais parler de vous.

     

 

Sire Pons arpentait sa chambre en proie à une rage folle. Il était passé pour un incapable... il s'arrêta devant le grand bureau où était posé sa dague. Il en caressa la lame avec le pouce... S'il réussissait à mettre la main sur Bohor, et il réussirait ! il ferait payer très cher cet affront.

Son regard se porta sur le miroir de la chambre. Il observa longuement son reflet. Il ferait un bon Nautonier, il en avait la sombre prestance. Il respirait la puissance et la force. Ce n'était pas le cas de Sire Kévin qui ressemblait de plus en plus à un vieux fantôme.

 

Le chevalier enfila une veste, glissa son revolver dans un holster sous le bras puis quitta sa chambre. Une Mercedes grise aux fenêtres fumées attendait devant l'hôtel.

En sortant la réceptionniste le salua.

  • Vous revenez aujourd'hui ? ... monsieur Smith.

Il la foudroya du regard et gronda de sa voix cassée.

  • Personne ne doit pénétrer dans ma chambre. Est ce clair ?

La réceptionniste blêmit et répondit en tremblant.

  • Bien sûr Monsieur Smith. Je fais le nécessaire .... bonne journée monsieur Smith.

Sire Pons ne l'écoutait plus, il se dirigeait vers le porche d'entrée où le chauffeur tenait la porte ouverte.

  • Vous savez où se trouve l'archevêché ?

  • Oui messire.

  • Combien de temps faut il pour y arriver ?

  • Nous devrions mettre moins d'une demie-heure Messire.

 

Les rues de Burgos à cette heure de la matinée étaient encombrées de passants et de véhicules de livraison. Sire Pons réalisa en observant cette foule colorée et bruyante, qu'il n'était encore jamais sorti de sa chambre. Il regrettait de s'être déplacé en Espagne. Tout ce qu'il avait entrepris depuis trois jours aurait pu être réalisé depuis Chicago ...

 

Quelques instants plus tard, la grosse berline s'arrêta devant une imposante demeure médiévale.

  • Vous m'attendez ici.

  • Bien Messire.

Le bâtiment occupait l'angle de deux rues. L'entrée donnait sur un petit jardin intérieur carrelé d'azulejos.

Sire Pons s'avança vers deux hommes attablés près d'un bassin. Le premier, un moine d'une trentaine d'année, se leva pour l'accueillir. Le deuxième personnage, un ecclésiastique de haut rang, restait assis et l'observait les yeux mi-clos.

Le jeune moine revêtu d'une aube brune, semblait mal à l'aise. Sire Pons, d'un mouvement de menton, demanda.

  • Qui êtes vous ?

Le moine blêmit.

  • Frère Mathieu... Monsignore vous attend.

Sire Pons resta immobile et contempla avec attention les carreaux de faïence bleue qui ornaient les murs du patio.

 

Comme le monsignore ne paraissait pas vouloir se lever, Sire Pons s'empara d'une chaise, s'assit en face de lui et le fixa sans desserrer les dents. La scène ressemblait à un combat de reptiles.

L'ecclésiastique, vêtu de gris, était d'une maigreur effrayante. Son visage émacié n'exprimait aucune émotion alors que celui du Maréchal montrait une indicible arrogance. Le prélat lança le premier assaut.

  • Bonjour chevalier, nous vous attendions impatiemment.

Chaque mot avait été choisi avec soin. L'appellation « chevalier » abaissait Sire Pons dans la hiérarchie de la Maison-Dieu, alors que le « nous » sensé englober les deux prêtres, avait tout du « nous » de majesté. Sire Pons sourit d'un sourire carnassier.

Il répondit d'une voix volontairement douce.

  • Je suppose que vous n'avez pas été mandaté à cette réunion par vos supérieurs pour perdre votre temps en passes d'armes stériles. Venons en aux faits si vous le voulez bien. Je suis Sire Pons, Maréchal de la Maison-Dieu et j'ai la responsabilité de l'opération en cours.

l'ecclésiastique blanchit. Sire Pons se demanda un instant s'il n'avait pas forcé le trait. La réaction du monsignore lui en apprendrait beaucoup sur son réel pouvoir. Ce dernier serra les mâchoires et respira avec un bruit de soufflet crevé puis il lâcha dans un souffle.

  • Vous avez raison, venons en aux faits. Qu'attendez vous de nous. Pourquoi avoir sollicité la présence d'un responsable romain sur place ?

Sire Pons avait gagné la première manche .

  • Pour que mes propos ne soient pas déformés !

Le monsignore regardait ses mains. Des mains squelettiques aux ongles soigneusement polis.

  • Il ne le seront pas. Que voulez vous ?

  • Je veux acheter San Juan de la Peña.

La pomme d'adam de l'éclésiastique fit plusieurs allers-retours. Frère Mathieu, pâle comme un mort, écoutait légèrement en retrait.

  • Pourquoi ?

  • Cela n'a pour vous aucune importance.

  • On va me demander des comptes à Rome !

  • Alors, disons que c'est pour en faire un hôtel ou un lieu d'études.

Le prélat lâcha du bout des lèvres.

  • Combien en proposez vous ?

Un éclat brilla dans le regard de Sire Pons.

  • Le prix n'a aucune importance pour nous. Vos caisses sont mal en point à ce qu'il se murmure ... cent millions de dollars seraient bons à prendre !

La pomme d’Adam épiscopale fit un nouvel aller-retour. Le regard du monsignore devint fixe comme celui d'un reptile devant une proie.

  • Deux cents millions !

  • Je vous ai dit que cela n'avait pas d'importance ! D'accord pour deux cents millions. Mais je veux que l'annonce soit faite officiellement par le Vatican avec suffisamment de publicité.

  • Bien sûr !

  • Et je veux que vous en fassiez l'annonce vous mêmes aux autorités espagnoles, en n'omettant pas de parler des projets de « complexe hôtelier » du repreneur.

  • Cela va nous attirer les foudres de nombreux espagnols !

  • Je sais ...

  • Je m'occuperais personnellement de cette affaire... Euh ! ... Sa Sainteté a mandaté le frère Mathieu à vos côtés.

    Sire Pons dévisagea avec insistance le jeune moine.

  • Pourquoi ?

  • Votre ... hum ! Maison.... a sollicité la présence d'un linguiste, spécialiste de l'hargo. Frère Mathieu est ce spécialiste. Il sera notre correspondant à vos côtés. Il vous tiendra informé de l’avancement de la transaction.

    Le Maréchal haussa ostensiblement les épaules.

     

     

     

 

****

 

 

 

 

De retour à son hôtel Sire Pons fut interpellé par la réceptionniste.

  • Monsieur Smith !

  • Oui, qu'il y a t'il ?

  • Un visiteur vous attend dans le hall.

    Le Maréchal se retourna sans un mot. Près de la baie vitrée se tenait un homme de taille moyenne, d'une cinquantaine d'années, le cheveu noir et le teint olivâtre. Légèrement bedonnant, il paraissait mal à l'aise dans un costume trop étroit.

    Sire Pons reconnut difficilement le fringant chevalier Arrabal de Alameda avec lequel il avait sévi quelques années plus tôt en Amérique du Sud. Il força son sourire pour mettre l'actuel commandeur de Jaca, dans de bonnes dispositions.

  • Ce bon vieil Arrabal ! Comment vas tu depuis toutes ces années. - Il tapota le ventre de son interlocuteur – tu ne te laisserais pas un peu aller ces derniers temps ?

Sire Arrabal esquissa un sourire crispé. Il transpirait en dépit de la climatisation.

  • Oui, le manque d'exercice, le travail de bureau ... j'ai eu quelques ennuis de santé.

  • Ah ! les soucis ! C'est notre lot à tous ! Viens, nous allons nous installer au bar, nous serons plus tranquilles pour discuter.

Ils commandèrent deux cafés et deux verres d'eau.

  • Tu dois te demander pourquoi j'ai sollicité ta présence ici sans délai !

Le gros espagnol hocha la tête.

  • Oui un peu. Je sais que le Nautonier a décrété l'état de guerre, alors on s'attend tous au pire à chaque instant. La dernière mission, l'élimination du moine nous a mis sur les dents.

  • Je ne t'ai pas félicité pour la façon dont tu t'es acquitté de cette mission. Mais, rassure tes hommes. La nouvelle opération est d'importance mais n'implique pas de prise de risque particulier.

Le commandeur de Jaca parut se dégonfler.

  • Tu dois avoir quelques connaissances dans les milieux politiques de ta ville ? De préférence dans l'opposition écologiste ou nationaliste.

L'oeil de son interlocuteur s'arrondit de surprise.

  • Oui, bien sûr. Moins que dans les partis politiques classiques, mais on a ça.

  • Tu vas inciter l'un de tes contacts, si possible un individu charismatique et pas trop pourri, à s'opposer à l'acquisition du monastère de San-Juan-de-la-Peña par la société hôtelière OCCAR.

  • Ils veulent acheter le monastère, pourquoi ?

  • Pour en faire un hôtel « Parador ». Il faut que ton mec crée une association, fasse signer des pétitions et s'oppose à cette vente par tous les moyens. Tu lui fournis la logistique, le secrétariat, le financement mais sans jamais apparaître. Il ne faut surtout pas qu'on soupçonne ton implication derrière tout ça. Compris !

  • Pas de problème, mais il y a quelque chose qui me chiffonne.

  • Quoi donc ?

  • OCCAR, c'est nous ! La Maison détient la majorité des actions de la holding qui la gère.

Sire Pons hocha la tête, amusé.

  • Oui, je veux acheter San-Juan.

  • Mais alors !

  • Alors je veux que ça fasse un scandale et je veux connaître les noms de tous ceux qui vont s'y opposer. Ici on aime la corrida alors je vais jouer au matador et je vais commencer à agiter ma cape .... il y aura une très belle mise à mort.

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